A un zircon de la perpétuité

Extrait : Chapitre 1

Dans un quartier résidentiel à la limite de la périphérie bruxelloise, le bruit d’une tondeuse à gazon vient de se mettre en route dans un des nombreux jardins qui encercle les villas luxueuses de ce coin réservé aux nantis. La moindre maison de jardinier vaut son pesant de cacahouètes et aucune des propriétés mises en vente dernièrement n’a été acquise pour moins d’un million d’euros.

Derrière une grille, une maison moderne s’élance vers le ciel, trois étages et plus de cinq cents mètres carrés de verre et de béton mélangé avec harmonie. Au début, ce projet tout en hauteur a bien entendu agacé les deux plus proches voisins, mais très rapidement et sans savoir pourquoi le propriétaire a reçu la permission de bâtir cet édifice hétéroclite parmi un ensemble de villas plutôt harmonieuses et classiques.

Jack lace ses chaussures de grande marque, couleur rouge sang, alors que Caroline se coiffe en inspectant son reflet dans le miroir. Ses cheveux courts et auburn dégagent un parfum aux notes d’agrumes qu’il hume avec délectation en s’approchant d’elle.

Si Jack a senti ce parfum qu’il aime tant, il a surtout remarqué les seins de sa petite amie qui pointent à travers son chemisier de soie. Est-ce leurs ébats sexuels de ce matin dont elle se souvient ? se demande-t-il fièrement.

Dès que l’idée lui effleure l’esprit et flatte son orgueil de mâle, le désir de la culbuter le reprend instantanément.

– Il faudrait que tu installes le chauffage dans ce hall, je me les gèle, lance Caroline qui n’a pas deviné que Jack est prêt à lui sauter dessus.

        Son excitation s’évanouit immédiatement ! Mais il en faut plus pour lui couper la chique.

Ils étaient sur le point de quitter la maison, mais la vue de son corps, son odeur et le lieu insolite lui donne envie de remettre le couvert. Son niveau de testostérone est aussi élevé que celui d’un bleu-bite après deux mois sans permission. Il aime bien varier les lieux de ses séances érotiques et à ce moment précis, c’est ici qu’il veut la soumettre à nouveau, car même dans le sexe, il cherche à asseoir son pouvoir.

Il balance sa petite amie sur l’ottomane qui trône au milieu du hall d’entrée.

– Mais tu es fou ! s’écrie Caroline, prise au dépourvu.

– Oui, fou de ton corps, je te veux, ici ! affirme-t-il en déboutonnant son pantalon.

        Lorsque Jack ordonnait, il fallait obéir.

Non seulement ce siège ne se prête pas aux contorsions qu’ils vont accomplir, mais la baie à galandage côté rue permet à n’importe quel passant de les apercevoir dans leur plus stricte intimité. Jack pourrait fermer les tentures mordorées et ainsi occulter les fenêtres, mais il se moque bien des passants. Si l’exhibitionnisme n’est pas son créneau, occasionnellement, il n’hésite pas à goûter à ce fruit défendu. Par la même occasion, il montre sa singularité et prouve que l’interdit ne lui fait pas peur.

Dans quelques situations certains l’avaient agoni d’injures, mais l’opinion des gens n’avait jamais dicté sa conduite. Il se vantait même souvent que cette prédisposition naturellement innée était la clef de son succès. C’était à cause, ou plutôt grâce à cela qu’il était devenu riche.

En affaires, il fallait prendre ce que l’on désirait, peu importait les moyens, seul l’objectif à atteindre comptait. Le sexe n’était d’ailleurs pas fort différent du business, pensait-il. C’est ainsi qu’à trente-trois ans, son nom sérigraphié s’affichait en grand sur l’un des plus hauts bâtiments de l’avenue Louise, artère chic de Bruxelles. Sa société engageait des centaines de personnes et lui, fils d’ouvrier et petit-fils d’immigrés, était à la tête de cette entreprise qu’il gérait d’une manière énergique et ferme. Le doute et l’hésitation ne faisaient pas partie de ses faiblesses et lorsqu’il voulait quelque chose, il mettait tout en œuvre pour l’obtenir.

Caroline, en seconde année supérieure dans une école du centre-ville de Bruxelles, possédait une allure athlétique, des fesses légèrement galbées et une taille de guêpe ; des appâts qui avaient de quoi l’affoler. À vingt-deux ans, petite-fille d’un industriel richissime de la région de Milan, sa différence d’âge avec Jack ne lui faisait pas peur ; cela la rassurait plutôt. Elle pensait qu’un homme mature serait plus enclin à fonder une famille et avoir des enfants faisait partie de ses plus grands rêves. Elle pensait donc avoir trouvé l’amour, l’unique, le seul, celui qui s’écrit avec un grand A. Elle était prête à tout pour lui prouver qu’elle était la femme de sa vie, même si elle devait se transformer de temps à autre en geisha docile.

La vigueur, l’inventivité et la virilité de Jack n’étaient pas pour lui déplaire. Elle le suivait dans la plupart de ses envies, mais cette fois-ci, elle aurait volontiers refusé ses avances.

Néanmoins, elle prend la décision de ne pas le contrarier, elle ferme les yeux et attend que le moment passe. Pendant qu’il commence à la caresser, elle se remémore la manière dont ils se sont connus.

C’était après la classe littéraire de madame Gondrant. Cette bique mal baisée l’avait à nouveau foutue en rogne, mais grâce à cela, elle avait fait la connaissance de Jack. Elle n’avait à aucun moment soupçonné que leur rencontre fortuite n’était pas due au hasard, mais qu’elle avait été savamment planifiée !  

À bout de nerfs, elle avait quitté l’école et avait déboulé sur le trottoir. Jack guettait sa future proie. Il fut étonné de la voir sortir dix minutes plus tôt et dut modifier en une fraction de seconde la manière dont il avait pensé l’aborder. Draguer et emballer une fille n’avait plus de secret pour lui.  

Elle fouillait frénétiquement son sac et ne trouvant pas ce qu’elle cherchait, elle était sur le point de hurler sa colère lorsqu’il l’avait apostrophée.

– J’ai l’impression que ceci pourrait vous aider.

        Un homme dans un costume Dior la regardait en souriant. Elle avait tout de suite remarqué la montre Hermès qui ornait son poignet, son père en avait une identique. Son allure de mannequin, ses dents blanches, ses cent quatre-vingts centimètres et surtout la clope qu’il lui tendait du bout des doigts l’avaient immédiatement séduite.

– Comment avez-vous deviné que je cherchais mon paquet ? rétorqua-t-elle en prenant la cigarette d’un geste rapide et en s’approchant de la flamme offerte par son briquet de luxe.

– Laissez-moi réfléchir, madame Gondrant ?

        Ces quelques mots avaient fini de la faire fondre telle une boule de glace caramel beurre salé en plein soleil du Midi. Elle ne pouvait pas se douter de la nature exacte des intentions de cet homme qui était si séduisant.

Depuis quelques semaines, elle partageait sa vie et reproduisait avec lui de nombreuses positions du Kâmasûtra dans toutes les pièces de sa maison.

Aujourd’hui, le hall semble désigné pour assouvir le démiurge insatiable qu’est son petit ami en matière de sexe. Après avoir attrapé son poignet afin d’attirer son attention, elle ouvre les yeux. Malgré le costume qu’il porte, elle ressent la puissance de ses pectoraux. Il suffit qu’il ôte sa chemise et dévoile ses tablettes de chocolat, dessinées par des séances de sports quotidiennes et intensives, pour qu’elle perde tous ses moyens.

Il dépose sa bouche dans le creux de son cou et glisse lentement sur celui-ci procurant ainsi à Caroline une horde de frissons. Tout en éternisant son cortège de baisers, il déboutonne le chemisier. Sa main droite descend en caressant la courbe d’un de ses seins, effleure sa jupe écossaise, et remonte pour se plaquer sur sa petite culotte blanche.

Il ne faut que quelques secondes pour que Caroline s’enflamme à son tour et indique aux doigts qui la palpent son consentement humide. Il s’accroupit, l’oblige à se déplacer sur le siège et s’occupe de sa friandise préférée. Il a à peine apposé sa langue dans les coins les plus intimes de sa féminité qu’elle commence à haleter, ce qui l’excite davantage. Elle caresse ses cheveux noirs et n’hésite pas à appuyer à l’arrière de sa tête afin que sa bouche se colle sur son antre en chaleur. Jack se relève, se débarrasse de son jean, et libère la bête qui se déploie sous les yeux admiratifs de la belle. Ni une ni deux il s’engouffre et l’honore continûment dans un mouvement de va-et-vient avant de s’effondrer sur elle dans un râle de plaisir.

– Trois fois aujourd’hui mon loup, tu ne penses pas que tu exagères ?

– Tu es magnifique, lui répond-il simplement.

        Jack, ce cador de la finance, à qui tout réussit, n’est pas le genre d’homme à exprimer ses sentiments. Cela exaspère Caroline, car si elle n’est pas avare de déclarations d’amour, lui semble plus apte à dévoiler sa richesse que son attachement.

Cela allait sans doute s’améliorer dans le futur, avait-elle confié à sa meilleure amie lors de leur dernière soirée entre filles. Après tout, cela ne faisait pas si longtemps qu’ils se connaissaient et elle était persuadée qu’avec toute son affection, elle arriverait à lui soutirer les mots rassurants qu’elle rêvait d’entendre. « Je t’aime Caroline », ce n’était quand même pas si difficile à prononcer !

        Mais est-ce que Jack avait vraiment envie de s’investir dans une vie familiale avec elle ? était la question à laquelle elle n’avait pas encore réussi à répondre. Elle ne savait pas encore que l’avenir lui prévoyait des jours bien sombres !